đ© Quand un petit chef se retrouve coincĂ© dans «un job Ă la con»
Vous connaissez sans doute les petits chefs. Dans les entreprises, ce sont tous ceux qui gĂ©nĂšrent ou assignent des tĂąches Ă dâautres. Câest ce que lâon appelle dans le jargon le « middle management » ou le management intermĂ©diaire.
Le malheur de certains cadres intermĂ©diaireâŠ
Le petit nâa pas le choix que de superviser ceux qui nâont, en fait, pas besoin dâĂȘtre supervisĂ©s.
Cette catĂ©gorie dâemplois est tout particuliĂšrement menacĂ©e par la numĂ©risation sans cesse croissante des tĂąches et lâintroduction dans les processus de management de lâintelligence artificielle. Mais ce nâest pas le propos dâaujourdâhui.
Dans son livre Bullshit Jobs, David Graeber nous informe quâil arrive que les petits chefs aient des jobs Ă la con.
Les petits chefs exercent des jobs à la con qui se divisent en deux catégories :
đ© 1. Le petit chef qui assigne des tĂąches Ă dâautres, tout en estimant que son intervention nâest pas requise puisque ses subalternes sont parfaitement capables de sâen sortir sans son intervention.
đ© 2. Le petit chef dont lâessentiel du boulot consiste Ă gĂ©nĂ©rer des tĂąches Ă la con quâil confie Ă dâautres.
Graeber souligne quâil est trĂšs difficile de recueillir des tĂ©moignages de petits chefs. Il a tout de mĂȘme pu recueillir quelques tĂ©moignages. Voici deux exemples :
đ© 1. Ben occupe un job Ă la con dans le management intermĂ©diaire. Il supervise dix personnes. Toutes sont parfaitement en mesure de sâacquitter de leurs tĂąches sans quâon les supervise. Le rĂŽle de Ben consiste Ă leur distribuer des tĂąches, alors que ces tĂąches pourraient tout aussi bien leur ĂȘtre confiĂ©es directement. De lâaveu mĂȘme de Ben, il consacre au moins 75 % de son temps Ă rĂ©partir le travail, et Ă vĂ©rifier que les tĂąches ont Ă©tĂ© accomplies directement. Lorsque Ben essaie en douce dâabattre lui-mĂȘme un peu de boulot concret, il est rĂ©primandĂ© par ses supĂ©rieurs. La candeur du tĂ©moignage de Ben sâexplique sans doute par le fait quâil nâoccupe ce poste que depuis quelques mois. Un cadre intermĂ©diaire aguerri se rabattra sur des indicateurs de productivitĂ© que ses subalternes rempliront (et maquilleront au besoin), et qui viendront confirmer la productivitĂ© de son Ă©quipe qui, rappelons-le, fonctionne en mode autonome sans quâil nâait besoin dâintervenir.
2. Chloé fait partie des petits chefs qui créent des jobs à la con pour les autres. Elle est vice-chanceliÚre (doyenne) dans une grande université britannique. Sa mission consiste à proposer un « leadership stratégique ». En pratique, elle propose des méthodes chiffrées pour mesurer la performance des professeurs.
Ces mĂ©thodes, de plus en plus Ă©laborĂ©es et complexes, donnent lieu Ă des situations parfois ubuesques : un professeur en arrive Ă passer plus de temps Ă Ă©valuer et Ă justifier ses activitĂ©s, quâĂ exĂ©cuter les tĂąches pour lesquels il est payĂ©.
ChloĂ© nây va pas de main morte. Elle incrimine sa propre fonction en reconnaissant quâil sâagit dâun job Ă la con, mais Ă©corche au passage tous les vice-chanceliers et autres postes universitaires que lâon qualifie de stratĂ©giques mais qui sont en rĂ©alitĂ© totalement dĂ©pourvus de pouvoir exĂ©cutif.
Les rares postes qui détiennent un véritable pouvoir, et il y en a trÚs peu, sont ceux qui contrÎlent les cordons de la bourse. Seuls les postes exécutifs peuvent influer sur les activités des départements et leurs orientations.
ChloĂ© rĂ©sume cela ainsi : « Je ne siĂ©geais pas au conseil de direction de lâuniversitĂ©, je ne participais pas aux dĂ©bats sur les objectifs, la stratĂ©gie gĂ©nĂ©rale, les mesures de performance, les audits, etc. Je nâavais pas de budget, pas dâautoritĂ© sur les locaux, lâemploi du temps ni aucun autre problĂšme concret. La seule chose que je pouvais faire, câĂ©tait proposer une stratĂ©gie qui, en rĂ©alitĂ©, nâĂ©tait quâune resucĂ©e de stratĂ©gies antĂ©rieures dĂ©jĂ votĂ©es. »
LâidĂ©ologie managĂ©rialiste telle que la qualifie ChloĂ©, est Ă lâĆuvre partout dans les grandes organisations et contribue Ă la crĂ©ation de jobs Ă la con. Au fur et Ă mesure quâelle sâincruste, des pans de plus en plus vastes du personnel sont assignĂ©s Ă une seule et unique fonction : jongler avec la myriade de joujoux quâelle sâinvente (audits, rapports, Ă©valuations, stratĂ©gies), le tout totalement dĂ©connectĂ© de ce qui est la mission premiĂšre de lâuniversitĂ© : lâenseignement.
Si vous ĂȘtes coincĂ©s dans des situations vident de sens, inscrivez-vous Ă la classe de maĂźtre - 5 Ă©tapes pour trouver sa zone de gĂ©nie
Vous n'en avez peut-ĂȘtre pas entendu parler. Il y a une sĂ©rie sur Netflix qui a beaucoup de succĂšs, American Crimes.